Dans le contexte de la réforme 2010 du lycée et notamment de la mise en place d’un « accompagnement personnalisé » de 72 heures par élève en classes de Seconde, Première et Terminale (B.O. du 04/02/2010), nous avons été invité par le Syndicat national des Chefs d’Etablissement de l’Enseignement Libre (SNCEEL) à intervenir sur la question : « Comment le lycée peut-il préparer à l’enseignement supérieur? » (1)

crédits: www.emediat.fr

La réforme 2010 du lycée


Entrer dans le monde
Pour éclairer ce qui est véritablement en jeu dans la question très concrète de la réforme du lycée, nous avons choisi paradoxalement de commencer par une évocation poétique : celle du film de Volker Schlöndorf, Le Tambour (adapté du roman éponyme de Günther Grass). L’histoire se déroule dans l’enclave de Dantzig dans les années 1920. Le petit Oskar reçoit pour ses trois ans un tambour de fer blanc et décide ce jour-là, écoeuré par le monde des adultes dont il voit les lâchetés, les bassesses, et les tromperies sur fond de montée du nazisme et de désintégration du modèle familial traditionnel, de ne plus grandir. Il restera physiquement un petit garçon de trois ans, un nain dont le passage des années abîme le visage jusqu’à le rendre monstrueux, à l’image de la société allemande qui s’enfonce dans le nazisme et la guerre.

Le Tambour

Le Tambour nous rappelle en quoi la question de l’enseignement à laquelle nous sommes sensibles et attentifs à la fois en tant qu’enseignant et que consultant-coach en entreprise est véritablement un enjeu de société. Elle consiste finalement à se demander : comment donner envie à nos enfants de grandir dans la société actuelle, c’est-à-dire de devenir des adultes responsables de notre monde contemporain?


Savoir, savoir-faire, savoir-être
Le constat est connu : l’école est en crise. Mais l’enjeu n’est pas forcément bien compris : traditionnellement, l’école était en charge de l’instruction, c’est-à-dire de la transmission du savoir. Or les changements économiques et sociaux contemporains ont conduit peu à peu à charger l’école d’un triple rôle au nom du souci de l’égalité : à l’instruction s’ajoute la formation, c’est-à-dire le savoir-faire, ainsi que l’éducation, le partage d’une culture et de ses valeurs, ce qu’on aime aujourd’hui appeler le savoir-être.

Alors que la formation a longtemps été le seul apanage de l’entreprise et que l’éducation était celui de la famille, le contexte économique et la stagnation d’un fort chômage structurel depuis 30 ans ont conduit les entreprises à externaliser la formation, tandis que le contexte d’émancipation démocratique et de remise en question des fondements de l’ordre traditionnel ont fragilisé le cadre familial et a fortiori sa capacité à prendre en charge l’éducation.

Ce rapide diagnostic doit être mis en parallèle avec ce que le philosophe Marcel Gauchet, citant Christopher Lasch, appelle la « vie ordinaire » des élèves. Finalement, ces adolescents qui cherchent leur salut dans un idéal se confrontent à un monde dont la -triste- réalité semble être : rien n’est possible. Pourquoi dans ces conditions voudraient-ils grandir, autrement dit quel sens y aurait-il à apprendre, connaître, travailler, faire des efforts pour s’instruire et achever ses études, alors même que la fin des études rime bien souvent avec chômage et sentiment de dépréciation et d’inadaptation à un marché du travail qui leur reproche de ne pas être déjà formaté?

Faut-il adapter l’école au monde du travail?
La tentation est grande depuis quelques années de vouloir adapter l’école aux besoins du marché du travail et de prendre au sérieux les reproches des entreprises face aux jeunes étudiants qui sortent de l’école et tentent d’intégrer le monde du travail, et qui pourraient être ainsi caricaturés : « Comment? Vous ne maîtrisez pas Excel? vous n’avez pas d’expérience approfondie dans notre secteur? Vous avez en plus des expériences dans d’autres domaines : vous devez certainement être un parfait indécis!, etc. »

L’école est prise entre les injonctions contradictoires des parents, dont l’angoisse n’a d’équivalent que leurs exigences, des entreprises, qui rêvent de salariés adaptés, formatés et motivés qu’ils n’auraient pas à former, et des élèves qui voient le décalage toujours plus grand entre l’école où ils passent le plus clair de leur temps et le monde. Instruire, éduquer, former? Quel est alors le rôle de l’école face à ces injonctions paradoxales et angoissantes dont souffrent les enseignants désignés sapeurs-pompiers volontaires ?

A vouloir épouser ces illusions contradictoires, l’école ne risque-t-elle pas de s’appauvrir encore et de perdre de vue ce qu’elle est, ou plutôt ce qu’elle n’est pas comme l’écrit H. Arendt dans sa conférence sur « La crise de l’éducation » : « (…) L’école n’est en aucune façon le monde, et ne doit pas se donner pour tel ; c’est plutôt l’institution qui s’intercale entre le monde et le domaine privé que constitue le foyer pour permettre la transition entre la famille et le monde. »

Et concrètement?
A notre sens, si l’école ne doit pas s’adapter au monde, elle a cependant l’obligation éthique d’être ouverte au monde. Autrement dit, le rôle de l’école serait de donner envie aux élèves d’aller dans le monde. Il s’agit en fait d’assumer une responsabilité, celle de donner envie de grandir. La question du travail, du choix d’orientation, de l’engagement en découle.

Si choisir, c’est renoncer en conscience, seule l’envie de devenir adulte peut permettre aux élèves de se projeter dans l’avenir. La réforme du lycée ouvre en cela des opportunités réelles d’inventer un espace singulier au sein du lycée. Les élèves pourraient à la fois prendre conscience de leurs intérêts propres à travers un accompagnement psychologique adapté, sortir de l’abstraction grise du monde du travail en rencontrant des professionnels épanouis (passerelles avec l’entreprise, interventions de responsables pédagogiques ayant une réelle connaissance des formations professionnelles) et identifier les compétences nécessaires pour construire un projet réaliste (coaching personnalisé pour faire émerger une cohérence entre les intérêts individuels, les compétences personnelles et la réalité du marché de l’emploi).

Himmel über Berlin

Les Ailes du désir

Dans Les Ailes du Désir, le cinéaste Wim Wenders met en scène à Berlin, avant la chute du mur, deux anges, Cassiel et Damiel, qui veillent sur les humains mais ne peuvent assister aux événements que passifs : ils ne peuvent rien sentir, rien goûter, rien toucher. Ils ne voient le monde qu’en noir et blanc. L’un des deux, Damiel, décide finalement de renoncer à l’immortalité pour goûter à la sensibilité fragile, à l’espoir, à la couleur éphémère qu’il découvre à travers le personnage de Marion, la trapéziste du cirque Ambulant qui rêve, en se balançant, de tomber dans le ciel étoilé :
« Als das Kind Kind war,
wußte es nicht, daß es Kind war,
alles war ihm beseelt,
und alle Seelen waren eins. »
*

Cet écho poétique de l’enfance nous rappelle peut-être que la responsabilité de l’école est avant tout de réconcilier les élèves avec le monde, c’est-à-dire de leur donner l’envie du monde adulte pour qu’ils renoncent en conscience à leur idéalité. La réforme actuelle -et notamment l’espace de l’accompagnement personnalisé- ouvre l’opportunité pour l’école d’aider l’élève à renouer avec une croyance possible en un monde ouvert au rêve, mais ancré dans une réalité concrète. En cela, le coaching n’est qu’une approche parmi d’autres.



(1) Nous tenons à remercier particulièrement M. Retourné, président de la commission lycée du SNCEEL, de nous avoir invité à réfléchir et à nous exprimer sur cette difficile question qui est au carrefour d’enjeux contemporains passionnants.

Sources :
H. Arendt, La Crise de la culture, 1961.
M.-C. Blais, M. Gauchet, D Ottavi, Conditions de l’éducation, Stock, 2008.
Günther Grass, Le Tambour (Die Blechtrommel), 1959, adapté au cinéma par V. Schlöndorf (1979).
Les Ailes du Désir (Himmel über Berlin), film de Wim Wenders (1987).

*Poème de Peter Handke extrait des Ailes du Désir :

« Als das Kind Kind war,
wußte es nicht, daß es Kind war,
alles war ihm beseelt,
und alle Seelen waren eins.

Als das Kind Kind war,
war es die Zeit der folgenden Fragen:
Warum bin ich ich und warum nicht du?
Warum bin ich hier und warum nicht dort?
Wann begann die Zeit und wo endet der Raum?
Ist das Leben unter der Sonne nicht bloß ein Traum?
Ist was ich sehe und höre und rieche
nicht bloß der Schein einer Welt vor der Welt?
Gibt es tatsächlich das Böse und Leute,
die wirklich die Bösen sind?
Wie kann es sein, daß ich, der ich bin,
bevor ich wurde, nicht war,
und daß einmal ich, der ich bin,
nicht mehr der ich bin, sein werde? »

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Lorsque l’enfant était enfant,
il ne savait pas qu’il était enfant,
tout pour lui avait une âme
et toutes les âmes étaient une

Lorsque l’enfant était enfant,
ce fut le temps des questions suivantes:
pourquoi suis-je moi, et pourquoi pas moi ?
Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ?
Quand commence le temps et où finit l’espace ?
La vie sous le soleil n’est-elle pas un rêve ?
Ce que je vois, entend, sens, n’est-ce pas simplement
l’apparence d’un monde devant le monde ?
Le mal existe-t-il vraiment et des gens
qui sont vraiment les mauvais ?
comment se fait-il que moi, qui suis moi,
avant de devenir, je n’étais pas,
et qu’un jour moi, qui suis moi,
je ne serai plus ce moi que je suis.

One Response to “Le coaching a-t-il sa place dans l’enseignement?”

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