(suite)… La guerre des générations est-elle alors inévitable? La génération Y est souvent perçue par les responsables de ressources humaines comme rétive à toute autorité, incapable de se concentrer longtemps sur une seule tâche et refusant tout engagement. Comment l’entreprise peut-elle alors imaginer son futur et anticiper ces conflits managériaux aux conséquences économiques et humaines globales?

Brainstore, Ideas Factory (Suisse)

Un nouvel âge adulte
Aujourd’hui, il convient de prendre pleinement conscience de la liquidation de l’idéal de l’état adulte.

Celui-ci s’inscrivait jusqu’il y a peu comme période de pleine maturité, par opposition à l’adolescence, période de frustration sociale (tant qu’elle s’inscrivait dans une révolte jusqu’à la fin des années 60), et à la vieillesse qui était le seuil vers la mort. Mais l’idéal de maturité adulte n’existe plus car il est un horizon inatteignable face aux exigences de l’individu contemporain qui veut mûrir sans vieillir. L’âge adulte doit plutôt être compris comme un processus de « maturescence ».

Paradoxalement, au-delà du lieu commun d’un conflit générationnel, on assiste en fait à une vraie solidarité de tous les âges, solidarité tant dans les inquiétudes que dans les revendications. Nos sociétés, dans leur ensemble, ont pour idéal d’existence de rester jeune, c’est-à-dire de « garder du possible » devant soi. Où l’on voit alors l’inéluctable impasse à laquelle conduit la réflexion sur l’engagement quand l’entreprise se limite à le penser en termes de motivation.

L’entreprise face à la crise de l’engagement
En faisant du manager « l’architecte de l’engagement au travail » (Aine O’Donnell, « Pratiques managériales et engagement des salariés », Entreprise et Personnel, n°290, mai 2010), l’entreprise a tendance à faire porter la responsabilité du désengagement au seul manager.

Or le manager doit aujourd’hui maîtriser tous les leviers de l’engagement à sa disposition pour encourager l’autonomie dans son équipe (de la délégation au rôle de coach), favoriser l’accompagnement et l’appropriation (approche participative), donner du sens, valoriser ainsi que reconnaître les contributions singulières de chacun pour leur permettre de s’exprimer pleinement et de progresser.

Au manager, coincé entre les catégories de junior et de senior, est en fait imposée une exigence impossible : celle de palier la disparition anthropologique de la maturité comme idéal. Autrement dit, le manager est aujourd’hui un vestige de l’état adulte que nos sociétés ont liquidé. Ce qui explique les tensions et l’incroyable pression subies aujourd’hui par la Génération X au poste de management, et ce à tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise.

Responsabilité & engagement
Pensé en termes de Génération X et Y, le problème se formulerait ainsi : pourquoi la Génération Y voudrait-elle porter la responsabilité impossible endossée par la Génération X, alors même que cette exigence est un sacrifice en contradiction avec l’idéal contemporain d’un développement personnel de tous ses possibles? L’engagement, tant qu’il est vu comme synonyme de renoncement aux possibles, ne peut être qu’en déclin dans l’entreprise.

« Toute démarche visant à favoriser l’engagement au travail doit aborder le système dans son ensemble, en osant questionner la culture managériale sur toute la ligne (des dirigeants jusqu’aux encadrants de premier niveau), les pratiques d’évaluation et de reconnaissance, de sélection et de développement, ainsi que l’organisation et les marges de manœuvre réelles à la disposition des managers », conclut Aine O’Donnell.

Recommandation lucide mais qui peut paraître idéaliste, voire naïve tant sa mise en place concrète paraît à mille lieux des préoccupations des entreprises. Cependant, c’est en effet une approche systémique qui doit être privilégiée, approche qui prend en compte le « système dans son ensemble »
Plus que jamais, il faut travailler avec la réalité de l’entreprise : le rôle des professionnels des RH est d’expliciter les mythologies et vestiges de l’imaginaire social qui continuent d’opérer dans les relations humaines. Ceci afin de ne pas être prisonnier soit d’une approche technicienne culpabilisante pour l’individu qui se désengagerait pour se protéger d’une exigence impossible, soit d’une approche idéaliste qui pécherait par bons sentiments.

Palomar5, Innovative Network-Organization, Berlin

Les conflits de génération, une chance pour l’entreprise ?
L’avenir économique de l’entreprise passe par une nécessaire prise de conscience collective de tous ses membres qui ne se limite pas à l’engagement. Pour qu’un objectif commun soit accepté collectivement alors que l’entreprise, prise dans les incertitudes de notre « société du risque » (Ulrich Beck), navigue à vue, il convient de travailler dès à présent à la mise en place d’une co-responsabilité au présent.

Cette co-responsabilité passe par un échange de type interculturel entre les générations qui travaillent ensemble, pour expliciter leur vision singulière, les valeurs qui les guident chacune et comprendre qu’au-delà des diversités qui exacerbent les tensions au quotidien, l’enjeu de l’entreprise comme organisation économique leur permet un rapprochement fertile qui fait émerger la conscience d’une solidarité de valeurs.

Il s’agit concrètement de replacer les outils de management dans une perspective plus large qui s’appuie sur un diagnostic construit en commun par tous les acteurs de l’entreprise.

Redonner du sens pour se concentrer sur la performance
Le rôle des professionnels des Ressources Humaines, que ce soit sous la forme du coaching, de la formation ou de l’accompagnement d’équipe, est d’aider les managers à créer cette co-responsabilité au sein de l’entreprise, afin de réconcilier sens et performance. L’enjeu est de taille : limiter la fuite des compétences, encourager des relations efficaces au service du projet d’entreprise, et tirer parti de la diversité de valeurs et d’expériences pour favoriser l’innovation plutôt que de la subir sous forme de tensions et d’incompréhensions contre-performantes.

Si l’entreprise n’a pas à jouer de rôle social ou politique, elle subit malgré elle les implications des transformations sociales des sociétés dans lesquelles elle s’inscrit. Elle doit en l’occurrence apprendre à résister aux discours alarmistes de guerre des générations si elle veut pouvoir continuer à inventer sa croissance, au présent et au futur.

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