« Travailler plus pour gagner plus » : la gauche est éminemment responsable du succès de ce slogan de la droite sarkozyste en 2007. Car ce qui est en jeu dans cette formule presque publicitaire, c’est la question de la justice sociale que la gauche progressiste a peu à peu abandonnée et qui explique qu’un haut fonctionnaire talentueux comme Martin Hirsch en soit réduit aujourd’hui à mettre en oeuvre une courageuse politique de redistribution sociale au sein d’un gouvernement bien peu progressiste comme le démontre les polémiques sur l’identité nationale.

« Qu’est-ce qu’une société juste? » : telle est la question politique qui n’est pas ré-interrogée avec assez de courage par le politique.

Une société juste n’est pas celle qui supprime les inégalités (ce qui est le discours populiste de l’extrême gauche). Une société juste est une société qui remplace les inégalités arbitraires par des inégalités légitimes.

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Entre 2001 et 2004 s’est développé en Europe un arsenal juridique contraignant pour lutter contre les discriminations qui s’est traduit en France par la loi du 16 novembre 2001 et la création de la HALDE en décembre 2004 pour assister les victimes de discrimination.

Ce qui a changé depuis 2004, c’est que cette politique contraignante a été relayée par une démarche volontariste des grandes entreprises à la promotion de la diversité.

Le succès de la thématique de la diversité en entreprise (développement de « responsables diversité » dans les grands groupes, création du « label diversité » en 2008, etc.) s’explique par la redéfinition de la diversité : alors qu’il s’agissait à l’origine de réparer les injustices subies, on célèbre aujourd’hui la reconnaissance des différences pour leur contribution à la performance de l’entreprise.

Autrement dit, à la logique de lutte contre les discriminations s’est substituée une approche utilitariste de la diversité, analogue au phénomène de managérialisation du droit anti-discriminatoire aux Etats-Unis, qui a vu la transformation de la lutte juridique contre les discriminations en entreprise en « Diversity management » au début des années 90.



Une ou des diversités?

Pour éviter l’aseptisation actuelle et saisir la complexité des enjeux, quatre approches de la gestion de la diversité doivent être distinguées :

1/ Une approche en termes de justice sociale, qui touche à la discrimination et à l’’équité au sein de nos sociétés multiculturelles et exige une réflexion philosophique.

2/ Une approche en termes d’accès et de légitimité : la diversité s’entend alors comme diversification. La prise en compte de la diversité dans le « Talent management » par exemple, peut permettre à l’entreprise de mieux s’adapter aux problématiques actuelles d’un monde multiculturel.

3/ Une approche normative, qui fait de la diversité une valeur en soi. Cette idéologie héritée de la contre-culture ouest-américaine des années 60 voit la diversité comme une source de profit humain et économique : pas d’innovation sans diversité.

4/ Enfin, une approche éthique de la diversité, dans une logique utilitariste d’intérêt économique bien compris : la diversité favorise l’image interne (confiance, cohésion, etc.) et externe (RSE, marketing) de l’entreprise, et contribue directement à sa performance.



La prise en compte de cette complexité de la notion de diversité est décisive. Car si les premiers bilans de la diversité montrent que les politiques en entreprise sont d’abord élaborés en fonction de l’histoire de chaque organisation et de la sensibilité des salariés à certains axes particuliers (handicap, parité, etc.), ils soulignent du même coup le risque d’évitement (pratique) des catégories de « race » et d’ethnicité, pourtant au coeur des discriminations.

Comment prendre en compte la diversité, c’est-à-dire le besoin de reconnaissance de la singularité de chacun tout en respectant le souci d’égalité de tous devant la loi? C’est par cette formulation exigeante que la philosophie politique s’efforce depuis plusieurs années de penser le multiculturalisme et le déplacement qu’il entraîne sur nos façons de vivre ensemble.

A ignorer cette dimension éminemment politique qui est au coeur de l’enjeu de la diversité, l’entreprise risque de tomber dans les pièges du discours simpliste et alimenter une méfiance légitime où la confusion des enjeux politiques et économiques risquent de se retourner contre elle.



Sources :
Raisons politiques, n°35, août 2009 : Laure Bereni, « Faire de la diversité une richesse pour l’entreprise » : la transformation d’une contrainte juridique en catégorie managériale, pp. 87-106.
Management et Avenir, n°28 2009/8. Dossier « La diversité : premiers bilans ».
Patrick Savidan, Le Multiculturalisme, PUF, QSJ, 2009.

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Dans l’intensité de notre vie moderne, rien ne manque : vitesse, sensations, ivresse, échanges, favorisés par les NTIC et l’impression enivrante de vivre chaque instant. Et pourtant, « rien » manque. Le rien est absent de nos vies, car rien ne doit manquer.

Pierre Soulages

Qu’est-ce que le rien sinon ces moments de profonde tristesse sans raison, cette mélancolie qui envahit le corps, la disparition de la moindre envie, la lassitude lourde comme les nuages gris d’un matin d’hiver de l’intensité de notre vie moderne qui ne se donne pas à comprendre? Le rien est la confrontation au sens de ce qui ne se laissait pas interroger. Le rien, c’est le néant qui se rappelle à nous : le ciel est vide. Memento mori. Le rien est le non-dit de notre quotidien, son image en creux.

Paradoxalement, manquer de ce rien, c’est risquer de manquer notre vie. Car c’est dans le rien en tant que vide que se joue la vie. Dans les moments qui sortent des cases du planning, dans les journées sans prétexte, dans les moments courageux où l’on renonce à la distraction qui nous permettrait de ne pas sentir le vide monter en nous… « L’unique bien des hommes, souligne Pascal, consiste à être divertis de penser à leur condition… par quelque passion agréable » (Lafuma, fragment 136). Se divertir, c’est « se détourner » au sens étymologique.

Il convient alors d’introduire le rien dans notre vie pour réellement la vivre. Face à la peur de se perdre, il faut accepter de se perdre. La question n’est plus alors : comment remplir sa vie pour échapper au néant (succès, bonheur, travail, famille, etc.), mais comment se laisser surprendre par les creux de la vie? Plutôt que de se « dé-tourner », pourquoi ne pas « con-tourner », c’est-à-dire oser le détour, le temps long qui fait un pied de nez à l’efficacité, oser mettre le rien au centre. Vivre, c’est peut-être découvrir l’Art de vivre. L’Art dans son imperfection, ses hésitations, ses détours.

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Les frontières étatiques ont connu un double mouvement depuis la seconde moitié du XXème siècle. Alors même que se sont créés de nouveaux Etats-souverains à la suite des vagues de décolonisation et de la disparition de l’Empire soviétique, la forme même de l’Etat-souverain telle qu’elle s’est imposé au XVIIe siècle est déligitimée.

De plus en plus impuissant face à la complexité due à l’interaction des intérêts à l’échelle du monde, l’Etat se fond dans une superposition de nouvelles entités supranationales à géométrie variable : économiques (ALENA, 1994), monétaires (l’UEM, 1992), ou politiques (l’ONU ou l’UE à 27 depuis 2004).

Les frontières des Etats

Les frontières sont donc à la fois des bornes qui séparent, des passerelles qui favorisent l’échange, et des limites à dépasser pour que s’ouvrent de nouveaux horizons.

Aujourd’hui, aussi bien à travers le débat sur l’identité nationale, celui sur le port de la burqa que sur le consensus apparent sur la promotion de la diversité en entreprise, c’est cette dialectique de la frontière comme ouverture, fermeture et échange qui se joue. Tandis que se fermer à l’Autre, c’est refuser de vivre, s’ouvrir à l’Autre revient à oser prendre le risque de se perdre.

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