Bien que ce soit l’enfant qui croit au Père Noël, le véritable « croyant » n’est pas l’enfant mais l’adolescent. Invitée dans le cadre du séminaire clinique « Jean Cournut » de la Société Psychanalytique de Paris, Julia Kristeva a proposé ce beau paradoxe pour interroger la notion d’adolescence.

Julia Kristeva

L’adolescent est celui qui s’échappe de l’enfance grâce à l’idéalisation de la relation d’objet. Autrement dit, la logique de séparation du monde de l’enfance repose sur la substitution de l’idéal des parents par un nouvel idéal. L’adolescent est donc un croyant condamné à être déçu par la réalité : il fait reposer son salut sur un Absolu idéal dans lequel est intriquée une transgression.

La période de l’adolescence est éminemment ambivalente : elle superpose pulsion pubertaire et idéalisation, pureté et transgression, à l’image de Roméo et Juliette, adolescents que l’idylle transgressive et secrète condamne à la mort. Déception, ennui, dépression, voire drogue et suicide sont des conséquences de cette idéalité mystique.

La cure psychanalytique a pour fonction d’épouser l’idéalité afin de dépassionner l’adolescent. Selon Julia Kristeva, les parents ne peuvent reconnaître la croyance en l’idéal de leur enfant car cet idéal est porté contre eux. C’est à l’analyste d’entendre le besoin de croire de l’adolescent. Bienveillant, il répond au besoin de reconnaissance de cette idéalité de l’adolescent sans la juger, et en l’authentifiant, identifie le schéma d’auto-punition contenu en creux. C’est par le « je vous entends » que l’analyste noue le transfert et va guider l’adolescent dans la transformation – qui est sublimation – du besoin de croire en plaisir de penser.

Ce plaisir de penser est le travail même de la cure : plaisir de se penser – de se panser (« pardon du jeu de mots », écrivait Rimbaud à son professeur Georges Isambart).

Quel est alors le but de l’analyse : se choisir d’un seul sexe, selon Lacan? Etre capable de jouer (play vs game), selon Winnicott? Kristeva propose cette jolie formule : créer des liens dépassionnés qui permettent de créer des rapports simplifiés (sans pathos) avec Autrui.

Et la linguiste, philosophe, psychanalyste et écrivain conclut, si à l’aise dans ces lieux suspects et méconnus qui sont à la croisée de la vie psychique et des enjeux culturels et sociaux : avec « Roméo et Juliette », sa neuvième pièce, Shakespeare renonce à la croyance idéale de l’amour et quitte l’adolescence. L’écriture aussi est une analyse.

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