En l’espace de quelques semaines, avant l’été, j’ai eu la surprise d’être contacté par plusieurs coachs, DRH et consultants tout juste certifiés coachs, qui souhaitaient être accompagnés dans leur questionnement et leur pratique. Cette sorte d’altervision laissait émerger toujours une seule et même question : comment devenir coach. Autrement dit : qu’est-ce qu’être coach?


Au fil des rencontres, j’ai donc été amené à réfléchir plus précisément à ma propre activité, son évolution et la façon dont je pouvais la partager le plus honnêtement possible. Voici la lettre que j’ai finalement écrite à l’un d’entre eux, DRH d’une grosse structure publique et formé au coaching à Paris 7.



Cher G.

Merci de ton retour, très riche, et de ton invitation à rebondir sur tes questions. J’ai pris un peu de temps pour construire ma réponse car finalement, la question que j’entends à travers toutes tes remarques est la suivante : qu’est-ce que le coaching, ou peut-être : comment devenir coach? C’est une difficile et belle question qui me touche dans mon activité même et que j’ai envie de tenter de formuler, même de façon imparfaite, pour la partager avec toi.

Le coaching est une praxis
A mon sens, le coaching est avant tout une pratique. Etre coach, c’est se libérer d’un cadre formel pour élaborer le sien propre.

Parce qu’il touche à l’humain, le coaching est et doit relever de la complexité. Je crois qu’il n’y a pas de réponse simple, d’interprétation évidente, de solutions toutes faites quand on touche à l’humain. Il n’y a que fragilités, histoires singulières, illusions et imperfections, et c’est la raison pour laquelle je défends une pratique du coaching qui est un art et non une technique.

Mais posée ainsi, cette définition fait émerger le paradoxe de la professionalisation de cette activité. Comment concilier le cadre nécessaire du coaching (régulation, évaluation, déontologie, etc.) avec son essence même, qui ne relève pas du rationnel-technique?

S’autoriser à être coach
Il me semble que devenir coach, c’est élaborer sa propre réponse à ce paradoxe, autrement dit s’autoriser en conscience, à la façon dont la psychanalyste lacanien est celui qui s’autorise à être psychanalyste.

A l’évidence, cette approche permet d’élargir l’approche du coaching pour le réintégrer dans l’histoire même de la psychanalyse (est-elle efficace, peut-elle être évaluée, n’est-ce pas du charlatanisme, etc.). Ce débat qui se poursuit aujourd’hui de façon caricaturale entre Michel Onfray et Elisabeth Roudinesco ( Cf. mon billet : « S’y retrouver dans les approches psy »).

Mais il s’agit aussi de le réintégrer plus largement dans l’histoire de notre modernité politique et de l’émergence de la raison comme source de libération de l’homme. Le débat entre les Lumières et les contre-lumières au 18e et 19e siècle s’est rejoué jusqu’à la fin des années 1990 à travers la controverse sur la justice sociale entre Libéraux et Communautariens (depuis la publication de Théorie de la Justice de John Rawls en 1971). Pour toutes ces références, je pourrai si cela t’intéresse te donner des pistes de lecture pour les défricher.

Devenir coach: 3 piliers
Mais concrètement, devenir coach, c’est à mon sens élaborer une philosophie de l’action et prendre en compte 3 axes de réflexions :
– la singularité;
– les compétences;
– les valeurs.

1/ Développer sa singularité et savoir l’expliciter :
De l’histoire des origines : « Quel est ton nom, qui es-tu, d’où viens-tu? » écrit Eschyle dans l’Orestie, à la blessure originelle*, il s’agit pour moi de savoir comment je m’inscris dans le grand roman du monde. Autrement dit : quels mythes m’habitent et suis-je en conscience de mon histoire et de l’histoire que je me raconte (ce que Paul Ricoeur appelle l' »identité narrative »).

Le coach est d’abord un être qui a pansé une blessure, et à partir de laquelle il se pense. Ce n’est pas parce qu’il est puissant que le coach est coach, c’est parce qu’il est fragile et en conscience pleine de cette fragilité. C’est l’histoire d’Oedipe, et de son évolution d’Oedipe Roi à la dernière tragédie de Sophocle Oedipe à Colone.

La déontologie sur laquelle doit reposer toute démarche de coaching peut à mon avis se résumer ainsi : être en conscience de ce que je fais. La supervision psychanalytique apparaît pour moi comme un espace d’analyse de mes projections, transferts et contre-transferts, une façon de retraverser ma propre histoire à la lumière de l’histoire de mes clients, pour m’assurer que je leur parle d’eux dans l’espace du coaching – et non de moi.

>suite : Comment devenir coach? (2/3)

* »Les blessures des yeux d’Oedipe, qui ont saigné si longtemps, se cicatrisent. On ne voit plus couler sur ses joues ces larmes noires qui inspirent de l’effroi comme si elles provenaient de votre propre sang » écrit Henri Bauchau dans son magnifique roman Oedipe sur la route (Actes Sud)

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